Viens, suis-moi ! (Mt 10, 21)
Méditation du bienheureux Basile Moreau, notre fondateur,
sur l'appel à suivre le Christ...
Extraite des Méditations Chrétiennes (1872)
L'appel de Jésus-Christ
Imaginez-vous que le Sauveur vous adresse aujourd'hui les paroles suivantes :
"Mon projet est de chasser tous les ennemis de mon empire, d'établir mon règne sur la terre et de conquérir ainsi mon royaume. Certain d'avance de la victoire, je n'ai nul besoin de secours étrangers. Mais, comme il y a, à la suite de cette expédition, gloire et riche dépouilles à recueillir, je viens vous proposer d'en faire partie. Nul ne périra dans les combats ; la victoire est certaine ; mais il faut que celui qui voudra me suivre se contente de ce dont je me contenterai moi-même. D'ailleurs, je ne demanderai jamais rien à personne dont je ne donne le premier l'exemple, prenant en toutes choses pour moi ce qu'il y a de pire, la part la plus rude des travaux, et au combat le poste le plus périlleux. Après la victoire, partage du butin en proportion de la part que chacun aura prise aux fatigues de la guerre."
Dans les conditions qui sont faites, à des offres semblables, venant d'une telle bouche, un refus ne serait qu'une sanglante injure, le comble de l'ingratitude et une pure lâcheté. S'enrôler donc résolument à la suite d'un si généreux chef doit être la seule réponse de tout homme qui a du coeur et de la raison. Mais dans cette foule à laquelle s'est adressé l'appel de ce Roi conquérant, plusieurs peuvent sentir le désir de lui montrer un dévouement plus complet, de lui faire des offres d'un plus haut prix.
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Supposez ici que Notre-Seigneur parcourt en ce moment la terre. Les peuples se pressent en foule sur ses pas ; le voir est le plus vif désir, l'avoir touché est un objet d'envie ; un regard, une parole reçue de lui est le comble du bonheur. Cependant, il s'est dirigé vers la paroisse que vous habitez, la rumeur de la foule annonce même déjà son approche. Il arrive et s'arrête devant une maison. Quels sont les mortels favorisés qui l'habitent ? C'est précisément la maison où vous vous trouvez en ce moment. Dites-vous donc à vous même :
Il est entré... je le vois s'avancer, entouré de ses disciples. C'est lui ; c'est son sourire bienveillant, son regard plein d'amour. Quelle douceur ineffable répandue sur ses traits et qui en tempère l'éclat divin ! Il a prononcé un nom... Il cherche quelqu'un des yeux. C'est moi-même ! Je le vois venir droit à moi. Il me tend les mains, m'ouvre ses bras. Oh ! avec quel transport je m'y précipite, ou plutôt je tombe à ses pieds que je serre étroitement ! Mon Seigneur et mon Dieu !... Mais il me relève, me presse sur son coeur. Oh ! le mien se brise au souvenir de mes péchés. Mes larmes coulent, mais elles sont douces parce que je les répand dans son sein.
- Mon Dieu, me pardonnerez-vous ?
Toute sa réponse est celle-ci :
- Mon enfant, il reste une place parmi mes disciples : la veux-tu ?... Je viens te la proposer.
- Ah ! Seigneur, c'en est trop.
- Mais sais-tu où je veux te conduire ?
- Seigneur, à votre suite j'irai partout.
- Mais si je succombe ?
- Je mourrai avec vous.
- Mais il y aura de rudes combats à livrer.
- Votre présence, Seigneur, m'animera, pourvu que je combatte sous vos yeux.
- Mais les oiseaux du ciel ont leurs nids, les renards ont leurs tanières : pour le Fils de l'homme il n'a pas où reposer sa tête ! Mais quelle récompense attends-tu ?
- Nulle autre que vous, Seigneur !
- Eh bien ! mon enfant, je suis satisfait de ton dévouement. Tu sais, d'ailleurs, que, bien loin de craindre pour moi, pour ma vie ou pour l'issue de ma lutte, je suis sûr de la victoire, et je promets qu'aucun de ceux qui me suivront ne périra à mon service. Quant à la récompense que tu désires, je vois que tu connais la meilleure part. Tu partageras donc, en effet, ma gloire dans la mesure où tu auras partagé mes travaux. Je te promets l'un de ces trônes réservés à mes apôtres, à la tête de toute l'armée des élus.
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Que dire, que penser de l'honneur que me fait mon Seigneur et mon Roi ? C'en est donc fait, et rien ne saurait arrêter ma résolution ; je me voue dès maintenant, sans retour, à la fortune de ce chef. Mon Roi est désormais tout pour moi. Sa gloire est ma gloire, ses armes mes armes, ses travaux mes travaux, ses revers les miens. Il est pauvre, je le serai ; humilié, persécuté, c'est ce que je cherche ; il court après les âmes, il se sacrifie pour elles, et moi aussi je le ferai. Tout pour lui et rien pour moi... que l'honneur de combattre à ses côtés, de m'user à son service, de mourir pour le placer sur le trône des coeurs. Je promets de vivre et de mourir sous son drapeau avec mes frères d'armes.
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Si telles sont vos dispositions en finissant cette méditation, tombez à genoux devant votre crucifix, et dites-lui de coeur encore plus que de bouche :
Ô Roi souverain et maître de l'univers !
sentant toute mon indignité,
mais appuyé sur votre grâce,
je m'offre entièrement à vous
avec tout ce qui m'appartient,
protestant devant votre infinie bonté,
en présence de la bienheureuse Vierge Marie, ma mère,
et de toute la cour céleste,
que c'est mon désir, mon intention, ma volonté bien arrêtée
de vous suivre et aussi près que possible,
en supportant les affronts, les injures,
la pauvreté, soit d'esprit, soit effective,
si toutefois votre Majesté y trouve sa gloire,
et daigne m'appeller elle-même à cet excès d'honneur.